Jamais auparavant la Vème République n’avait connu un tel retour du religieux sur la place publique que ces deux dernières décennies. Quid du fait religieux en France. Idées reçues ?

Une présence proliférante que l’on avait cru définitivement mise hors jeu. La laïcisation de l’État et la sécularisation de la société et de la culture furent estimées pour toujours acquises, la religion inlassablement refoulée dans la sphère du privé, effacée de nos pensées et de nos idéologies officielles. Dieu, déclaré mort, semble soudainement plein de ferveur et confronte la République laïque avec son ambition de peser sur la culture et la politique. Dans la politique, soudainement, la religion n’est plus une "marionnette" et à l’école elle ne porte plus son"bonnet d’âne". La religion ne serait-elle plus un amalgame de superstitions stupides, un "opium" du peuple, ou encore juste bonne pour les retardés de la campagne ? Il semble que non, puisque les philosophes d’aujourd’hui lui accorde même une fonction sociale utile et estimable !

Où est sa place ?

La République, après avoir banni la religion, qui selon elle, n’était plus de mise, à du mal à intégrer cette résurrection inattendue dans ses affaires publiques. Elle aurait préféré l’ignorer mais l’existence persistante du religieux et la gravité de son poids la rend incontournable tant à l’échelle social que sur l’échiquier le politique. Cette nouvelle situation place la République devant un dilemme. Elle est mise en demeure de choisir: soit de s’en tenir à la posture la plus stricte du principe de séparation, au sein de l'État, de la société civile et des communautés religieuses en refusant à cette dernière de s’asseoir la table de la République et donc d’exclusion la religion de toutes les institutions publiques, y compris l’école républicaine ; soit de satisfaire aux exigences, également constitutionnelles, de la préservation de l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Dans cette perspective, soucieuse de la réalité sociale et politique, la raison d’état sera tenue de concéder à la religion ou du moins au "fait religieux" un espace public. En tous cas la République est tenue de respecter toutes les croyances sans diverger de son principe du gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple dans le cadre des lois qui en déterminent les principes fondamentaux qui seront fondés sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité. Cela signifie que la République n’est pas en droit de faire une distinction préférentielle entre les cultes auxquels elle est confrontée, ceux qu’elle reconnaîtrait, et ceux avec lesquels elle souhaite convenir d’un enseignement du "fait religieux".

A l’école… ?

Cette aporie touche en particulier l’enseignement public. Enseigner l’une ou l’autre religion dans l’école républicaine serait une transgression, constitutionnellement insoutenable ; serait une décision non-constitutive, non-conciliable avec la position laïque s'opposant à toute influence, à toute emprise de la part d’une organisation religieuse sur la vie intellectuelle et morale, sur les institutions et sur les services publics. Céder un espace public à la religion en tant que religion est donc totalement exclu car fait inconstitutionnel, et la République qui se doit de respecter toutes les croyances est évidemment tenue, en première instance, de respecter la sienne.

Comment procéder alors?

En 2003 la situation et la clientèle scolaires sont évidemment bien différente de celles de 1959. Depuis cette époque l’école se transforme, de plus en plus, en pourvoyeuse de diplômes et de certificats d’études aboutissant à des carrières individuelles pour un personnel spécialisé. De ce fait le lien moral quasi organique qui relie la République, l’école publique et l’instruction publique, s’est dégradé et les relations qui se tissent entre la morale de l’État et celle de la société s’y sont dissipés. On ne peut se défaire de l’impression que l’École républicaine, depuis un demi-siècle, a cessée de s’intéresser à l’éducation morale, sociale et à la citoyenneté de ses jeunes Sacrifiant l’amour de l’idéal au désir de l’utile, elle a confondu désintéressement et indifférence avec neutralité et objectivité.
En négligeant son projet primordial : l’éducation morale et la formation civique du citoyen. Elle a périlleusement mis en danger la cohérence nationale. Il est clair que remédier à cette imprudence passe par un renouveau du projet moral au sein de l’École républicaine qui pourrait faire surgir une solution à la question de l’éducation de l’homme "postmoderne". Il s’avèrera, sans doute dans ce contexte, qu’il soit nécessaire de joindre à la reprise d’un cours de morale remis à jour avec l’idéologie de la laïcité -Ferdinand Buisson dirait de la "foi laïque"- un cours social complémentaire qui doit ouvrir les consciences à la présence incontournable et non récusable du "fait religieux" dans la vie quotidienne.
Le moral et le social étant inséparable il ne s’agira plus dès lors d’enseigner l’une ou l’autre orthodoxie religieuse à des enfants hypothéqués par des parents, mais d’une instruction utilitaire, sans aucune intention de prosélytisme, informant et élargissant les horizons intellectuels des élèves et des étudiants sur la signification intrinsèque et les orthopraxies des diverses traditions religieuses présente dans la République. De part sa nature laïque, il s’en suit que cet enseignement sera surtout un enseignement de fait, un enseignement d’histoire, d’analyse et de comparaison de textes plus que de théories, de dogmes et de théologies – l’instruction religieuse restant strictement confinée à l’espace privé et à charge des communautés cultuelles concernées et qui en portent exclusivement la responsabilité.

Avec quel programme ? Comment enseigner un pareil cours si délicat ?

Il n’y aura pas seulement les problèmes de pédagogie et de programmes mais aussi ceux d’enseignants et de leur formation qui seront des tâches difficiles et complexes. Même si celui qui donne le cours est instruit, formé par et dans les meilleures méthodes d’enseignement, il lui faudra un esprit ouvert et cultivé, capable d’informer et d’éclairer en témoignant d’une réflexion personnelle sur une laïcité non vindicative mais vraiment respectueuse du "fait religieux" qu’il doit exposer et expliquer à son auditoire sans jamais oublier qu’il est fonctionnaire d’un État démocratique et social. Il dépendra de la qualité de la formation de cet enseignant hautement spécialisé la caution professionnelle qui lui permettra d’éviter tous les écueils menaçant de mener à bien son projet, en particulier celui de tomber dans l’enchantement d’une sorte de cours de métaphysique passant par-dessus la tête ou de sociologie vulgarisée à la limite du folklorique.
Organiser un tel cours destiné à éduquer et instruire ; décider de son programme et de son étalement sur pas moins de douze années ; fixer sa méthodologie et décrire sa pédagogie ; indiquer ses moyens d’actions privilégiés, représente une tâche difficile et complexe.

Qui l’entreprendra ? Comment et où former adéquatement les enseignants compétents qui iront effectivement devant la classe et au-devant de la génération future ?